Dans la danse
Il n’y a pas de vie ordinaire. Pas non plus de vie extraordinaire sauf celle de chacun.
Les éditions Vagamundo réussissent régulièrement ce tour de force d’ainsi convoquer dans des livres des récits de vie. Peut-être fera-t-on dans quelques décennies appel à ce corpus littéraire en train de se constituer sur les rives de l’Aven pour des anthropologies étranges, des ethnologies bizarres qui ne tiennent d’aucune de ces spécialités hormis celle du bizarre.
Exemple, le livre scientifiquement étayé des vingt derniers mois de la vie de Gauguin (Paul Gauguin & les Marquises : Paradis trouvé ? de Caroline Boyle-Turner). Il en a déjà été fait mention sur Bretagne Actuelle. Ou dans la même Collection Viatim où ce livre sort, Dieu dansera ta vie de Muriel Jaër, celui consacré à l’immigration portugaise d’Isabel Mateus (Maria, Manuel et les Autres).
Le livre de Muriel Jaër, en est-ce un ? Oui si l’on accepte de dire qu’un livre c’est une somme de pages, 456 à tourner, des chapitres qui s’égrènent et un récit qu’étaye un appareil très documenté de l’auteure, entre autres, sous toutes ses coutures, de face, de profil et de feu car Muriel Jaër est d’abord danseuse. Ses images dansent, photos étranges (de Bernard Boisson, Étienne Bertrand Weill etc.) de la disparition du corps. Le mouvement l’emportant.
Muriel Jaër est la danseuse d’une vie faite de mille vies. D’un manège à mille cadences ! Vie visible ou vie invisible, touchant au spirite, au spiritisme ou au spirituel. Jaër a mille vies comme Shiva a mille bras. Elle est née en 1930 et a parcouru tous les mondes du monde. Née à Londres, de parents français, jeunesse aux États-Unis, à Guingamp aussi, initiée en Inde, touchée par des grâces, Jaër est au centre d’un récit dont elle est aussi la périphérie. Défile un long fleuve de paroles, peu écrit, il ne l’est pas puisque ce livre est comme on raconte sa vie. Cela ressort-il de l’art brut de faire de sa vie une esthétique ? En tout cas, la narration est une tentative de tout rassembler. C’est quelquefois faute de s’être couché sur un divan que l’envie de refaire sans trier le long parcours d’une vie vient !
Vagamundo a ce mérite de trouver de ces figures singulières qui ne ressemblent qu’à elles-mêmes, logées entre les couches du rationnel et de l’irrationnel, entre les ondes du karma et le souffranciel, se tirant de maladies par l’incantatoire ou le spirituel où les chiffres coïncident avec les rencontres. A ici lieu une mathématique dont ni Blaise Pascal ni Newton ne répondent mais des maîtres yogis !
Muriel Jaër n’est pas l’auteure d’un livre sur sa vie mais d’une vie qui se livre. On y croise Maria-Helena Vieira da Silva, Roger Bissière, Edgar Varèse et bien d’autres amis artistes et maîtres qui ont côtoyé et enrichi sa vie. L’auteure a appris de tellement, parlé à tant et a tant voulu transmettre !
Est-ce de l’écriture brute ? Pas d’autre trace en tout cas que le feu qui suit et qui précède une Inde imaginaire et, semble-il, trouvée.
Gilles Cervera